vendredi 13 novembre 2015

Cela pourrait être...

photo : Les poèmes d'Argyne
Cela pourrait être une fenêtre par où on regarde le monde s'agiter à l'extérieur de soi, bien confortablement installé devant ce hublot pour contempler les sauts, soubresauts des trois bateaux que la mer secoue jusqu'au débordement. Un regard de spectateur sur la folie de l'eau, impassible de tranquillité, le spectacle de trois voiliers qui luttent pour se maintenir à flots. D'ici juste un tableau, un mouvement des eaux, quelques voiles qui se déchirent et s'il n'y avait pas ce hublot. S'il n'y avait pas ce silence douillet et chaud entre toi qui observe et ce drame de la mer, s'il n'y avait pas la certitude innocente que rien de ce qui se passe de l'autre coté ne pourra t'atteindre parce que rien ne peut troubler la quiétude de ton point de vue... tu te laisses distraire par l'esthétique de la scène, le ballet des bateaux entre vie et mort, le rythme des vagues. Le ciel troué d'éclairs sûrement. Et si tu t'offrais une bière tout en suivant le drame comme au cinéma. La bière, le fauteuil, le doux ronron d'un feu de cheminée et la rumeur du vent si lointaine. Un peu de musique. Un autre univers.

Mais voilà, le verre cède sous la pression du dehors et l'horreur s'invite dans ta bulle, une douche froide un sursaut de tes sens, le réveil brutal et soudain la violence de l'eau, la rudesse du vent, la détresse des hommes dans cette vague qui te submerge et t'entraîne dans son destin. La nature a horreur du vide dit-on et la mer noie tes privilèges, une gifle d'écume et de rage t'entraîne, la tourmente aspirée se déverse de ton coté des choses sans que tu sois préparé. Deux mondes mis en communication et le bateau coule coté tranquille, coté plage, coté spectateur, au passage t'inonde, te repousse plus loin sur le sable, s'engouffre dans ta vie et tu entends dans ta peur des cris d'hommes, des hurlements de femmes, des pleurs d'enfants qui se mêlent à ta détresse passagère, l'effroi et le froid et le craquement lugubre d'une coque qui se disloque et l'odeur de la mort se répand dans ta chambre, des corps étranges, des cris d'étrangers. Le dedans et le dehors s'équilibrent. Leur trop plein de terreur se vide dans ton trop plein de quiétude et tu te félicites de n'être qu'une victime collatérale, victime mais vivant. Alors tu te mets en colère et tu hurles : mais vous êtes fous, retournez d'où vous venez, on ne vous a pas invité, regardez ce que vous avez fait, le désordre que vous avez semé, les dégâts,les troubles. J'en suis tout retourné. Partez.

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