mardi 29 septembre 2015

Elle emménage

Va falloir
laver, frotter, briquer,
fair' briller de la cave au grenier,
réparer, recoller,
des bois, blessés, froissés,
par des pas dissipés...

elle doit arriver

Enlevez vos idées noires
rengainez vos rancoeurs
balayer devant vos portes,
du propre, et du net,
elle emménage.

Bannir, traquer, piéger
sulfate et nitrate
Chasser de nos zones l'ozone
ranger, cribler, trier nos déchets,
Elle emménage.

Et puis nos mers et nos océans
brillants de nos huiles frelatés,
de nos dégazages sauvages,
lessivez, récurez,
elle emménage.

Ces oiseaux collés au rivage,
animaux mourant de nos pestes :
nettoyer, épurer nos us nos usages
de tous nos ravages,
elle emménage.

Et nos violences, nos disputes,
nos guerres juste à nos frontières,
et ces gens sans argent,
ces enfants sans parents,
atténuez rassurez,
elle emménage.

Va falloir bricoler,
arranger puis lustrer
plein de vies amochées,
mal barrées et cassées,
Elle va s'installer.

Rapiécer raccommoder, coudre recoudre
un monde trop endommagé,
et j'ai si peu de temps,
elle emménage.

Il reste un peu d'amour,
quelques rares rires
qu'il faut dépoussiérer,
des oh et des ah surprenants,
des plages et des oiseaux,
poissons et autres animaux
à aimer et bercer...

Va falloir lui dire,
dire et redire :
ce monde est sale, mal rangé
ce monde les hommes l'ont abîmé,
il va falloir le réparer,
le consoler le dorloter,
le briquer le lustrer
de la cave au grenier.

C'est déjà son monde,
et j'ai un peu honte
de tout ce désordre
que je laisse en partant.




lundi 28 septembre 2015

Ouvrez moi

Ouvre moi, ouvrez moi la porte. J'entends votre souffle derrière ce bois clos qui me cache à vos yeux. Vous avez peur je sais mais je ne suis pas un voleur, juste un homme qui rêve de plein sommeil, de maison d'eau pure et de lumière, juste un homme et les siens sur votre seuil. Je sais nous sommes trop nombreux et nos cheveux trop bruns, notre peau trop brune, notre accent trop lointain.

Ouvrez moi, ouvrez moi vos bras je ne viens pas chasser vos pauvres...juste une porte entre ouverte, un sourire sur vos lèvres, juste un coin pour vivre, juste le temps de vous montrer ce que je sais faire, juste un peu d'air qui ne sente pas la mort, juste un peu d'une liberté tant espérée.

Ça coûte si peu une once de bonheur, un pas léger.

Ouvrez, ouvrez moi votre cœur je ne suis pas voleur, une heure le temps de souffler, de poser mes douleurs. Je rêve d'une vie vierge de tout ombre, d'une échoppe où vous viendriez madame sans arrière pensée. Vous me diriez bonjour, vous ne changeriez pas de trottoir quand vous me croiseriez, mes pas se fondraient dans les vôtres madame et vous n'auriez pas peur.

Ouvrez, ouvre moi la porte, ouvrez moi sans crainte j'ai dans mes mains de la chaleur à vous donner ; ma force de travail, mon courage à partager, ce que je ne peux pas dire, que l'horreur enfante, ce que j'extirpe de ma chair, que je porte au bout de mes doigts, dans les failles obscures de ma mémoire, en offrande pour vous : l'énergie que je tire de mes souffrances.

Ouvrez moi, ouvrez moi la porte, je ne suis qu'un homme après tout, comme vous, comme vous peut-être demain...

mercredi 23 septembre 2015

Politiquement correct

Ne dis pas
Ne dis pas chat pour chat
Ne dis pas
ne dis pas trop tard,
ne dis pas impossible
ne dis pas noir
ne dis pas contagion, épidémie
ne dis pas ne dis surtout pas demain
ne dis pas on n'y peut rien
ne dis pas immigrés, ne dis pas raciste.
Ces mots sont malades mais tu ne le vois pas et tu insistes lourdement.

-Ces gens qui sont dans l'eau ?
Des baigneurs, des surfeurs...
-Qui nagent tout habillés, apparaissent disparaissent, apparaissent, qu'on ne voit plus du tout ?
Des amuseurs c'est tout...


- Ces gens qui passent les frontières en masse ?
- Randonneurs, voyageurs hors des sentiers battus.
- Et ces barbelés ces murs entre eux et nous ?
- Labyrinthes, parcours de santé...

Ces mots sont malades et tu répètes, répètes, tu rabâches : pollution, réduction, contention, migrations...
ré-vo-lu-tion...

ces mots sont malades,
il faut les écarter, les mettre, en quarantaine, en camp de réfugiés ou bien les repousser,
il faut cacher ces maux que je ne saurais voir.

Distrayez moi, parlez moi d'amour dites moi des choses sirupeuses des choses qui collent à mes doigts...sentent bon la rose sur son fumier...
soit : on n'engraisse pas les cochons à l'eau claire soit, mais je ne veux pas voir le lisier qui me nourrit.

Sécurité, surveillance, malveillance,
montez le son je ne veux pas entendre,
de la musique dans tous les rayons,
acheter, acheter pour combler le vide entre les mots,
parler, parler logorrhée, log-errer, débiter,
mais surtout évacuer le silence où l'on pense,
expulser nos idées,
exposer nos rires forcés,

les mots sont malades de nos peurs.

Sauvez moi en douceur, ne faites pas mon malheur,
laissez moi vivre dans ma matrice,
mes bulles de savon,
mes petits plats amoureusement bichonnés,
mes jardins potagers
ou mes comment-dois-je-faire,
mes astuces mes tours de main.

Demain sera bien assez tôt,
demain arrive bien vite,
demain arrive trop vite,
vivons dans le présent, l'instant qui nous est programmé.

-Du calme monsieur, du calme madame, l'amour est dans nos prés , dans la rosée préservée, dans ce prochain qui ne m'est pas tout à fait familier, mon voisin de palier, ce jeune et sa musique... et si ce n'est pas de l'amour ce sera de la rage...
il faut choisir.

Tous droits réservés JCarayon.
Photos JPSorgue

lundi 21 septembre 2015

Paradis

Sourires aux dents blanches jusqu'à l'aveuglement, visages sans rides, visages que l'on aime d'emblée : un père et devant sa fille. Un bonheur s'invite. Le regard vers ce point que nul ne voit, en deçà du cadre, en deçà du présent.

Derrière eux, le blanc d'un rêve, le blanc du temps, blanc de l'oubli, blanc du non lieu.

Et l'on se dit j 'aimerais, j'aurais aimé, j'aurais pu aimer et l'on se prend à vagabonder dans ce blanc, à le remplir d'un décor fait d'arbres et d'oiseaux, d'un ciel éternellement bleu et pourquoi pas la mer et pourquoi pas des voix d'enfants, pourquoi pas une comptine comme un refrain juvénile : une souris verte qui courait dans l'herbe...une petite souris pour de grands sourires et l'ogre qui croque, croque surtout les enfants malheureux, voilà pourquoi dans les photos ils sont toujours gracieux. Et l’œil derrière l'appareil à photo, l'œil qui cadre se plisse et qui rit ? L’œil d'une femme, l’œil d'une mère, l’œil aimant, l’œil aimé, celui qu'ils regardent de leur yeux photographiés, lointains, de plus en plus lointains fatigués de s'exposer année après année.

Paradis, paradis d'or que l'on adore sur son papier usé, à demi effacé. Ce paradis ne parade plus, de l'or il ne lui reste que l'âge, un or que l'on n'envie que s'il demeure sans, car tous nos paradis sont paradis perdus.

vendredi 18 septembre 2015

Et pourtant

La mer, la mer si calme, si douce la mer, si paisible et pourtant...
et pourtant tu te souviens...
les vagues, les plaintes, les grincements de la coque du bateau...
la crainte, la peur sur les visages, et pourtant.
Ici la mer déroule son eau sur des visages tranquilles.
Et pourtant la traversée avec les grondements bavant d'écumes et le vent et les voix des marins, les hurlements sur le pont.
Ici nous sommes enfin de l'autre côté.
Oui de l'autre côté des choses,
du bon côté.
Et pourtant hier nos regards tendus, nos yeux braqués sur le rêve et sa destination, la mort autour.
Et là sur la plage, un corps...
un homme...
comme nous?
Un homme comme nous, et différent pourtant . Il dort, vraiment, il dort.
Je n'aime plus voir ces corps immobiles ni ces bois qui flottent, passifs.
Ce corps est un homme d'ici. Tout à l'heure il va s'animer, il se lèvera puis s'en ira sans doute, l'esprit libre de nos frayeurs.
Plus jamais je ne saurai distinguer le sommeil et la mort.
Tu devrais sourire... pense au pays, aux nôtres sur l'autre rivage. Nous sommes leurs yeux, nous sommes leur espoir.
Et pourtant nous voilà libérés d'une peur mais une autre loge dans sa vacance...
dans les regards d'ici où je lis la bonté ou la méfiance.

mardi 8 septembre 2015

A cause de...

photo nicephore
Les histoires n'en finissent pas quand le passé ne passe pas. Un pas puis un autre le premier dans le second, mais le mouvement bloque. Un pas puis un autre mais toujours le même. Les jambes s'agitent, le corps entier se met en branle, danse l'expression du capitaine. Un pas le second dans le premier, une rengaine. Les bras brassent dans le désordre, les jambes s'affolent et les pas se perdent. Stop, rewind, arrêt sur image, c'est la faute du capitaine qui abandonne son navire pour quelque port où il s'attache.

Un visage, un sourire, des yeux, des lèvres sur un quai, le passé ne passe plus c'est la faute de l'amour avec ses balivernes et ses jérémiades : tu m'aimes, je t'aime pour toujours etc. mais les histoires d'amour ne durent pas toujours. Si l'on vous dit le contraire n'écoutez pas, c'est qu'on vous ment évidemment. Normal, que serait l'amour sans toujours? Alors le temps s'arrête, l'histoire hoquette et le passé se refuse à disparaître. A cause du capitaine que le temps obsède, à cause des marchands de promesses, des ports et des filles à matelots.

A cause à cause ? Après à cause il faudra bien poser un de, de, la préposition puis faire une proposition, le coupable proposé le coupable est, le coupable suit le de, coupable préposé. A cause du capitaine qui a une mauvaise haleine, à cause de l'amour parce qu'il cause toujours, à cause de l'histoire qui bégaye sans fin et du passé que l'on met sur pause quand l'intrigue nous plaît ?

Mais la romance se fait rance, le capitaine tire sa révérence et file à grande bordée. A cause du large, du grand large, l'appel du large : ohé ohé matelot ! Mais le matelot se défile sur les flots. Un capitaine tient son bateau, la mer ni l'amour jamais ne le démontent. La faute au temps qui casse tout évidemment, la faute à ce fichu métier, à la mer qui le prend, l'amour qui reste à quai… Alors bien calé au gouvernail,on rembobine l'histoire on fait et refait son montage. Stop rewind arrêt sur image… et le passé ne passe pas.

vendredi 4 septembre 2015

Dialogues du couchant.

Il paraît que l'on assiste à une "révolution" aussi exceptionnelle que l'invention de l'imprimerie et du livre. Internet et le numérique ouvrirait un espace d'une nouveauté inouïe avec des répercussions inimaginables. Un changement de civilisation rien que ça!. Des hommes -fous ou visionnaires?- à la tête de Google, d'Apple etc. chantent la venue d'un nouvel homme, homme augmenté de la puissance de la machine. Nous vivrions trois cents ans et plus. L'éternité serait à notre portée disent-ils. De nouveaux acteurs les GAFA (Google, Amazone, Facebook, Apple) sont plus puissants que beaucoup de nos nations. Bref ce changement me dépasse, moi vieil homme du vingtième siècle avec un pied dans le vingt et unième mais pas au delà bien sûr... 

Je suis vieux , mis en bord de plage, le regard au couchant tourné vers les nouvelles galères qui quittent ce rivage avec à leur bord la dernière génération. J'ai tord, m'ont-ils dit...

Tord papy, trop vieux pour comprendre, tu as peur quand nous sommes d'accord, nous partons pour le nouveau monde, nouveau tu comprends, comme nous, nouveau comme eux, nouveau. Ils l'ont voulu, ils l'ont fait, nous les suivrons, nous l'habiterons, adieu papy. Adieu la maladie, adieu la mort, adieu le corps, adieu les hommes. Les Gafa l'ont fait, nous les suivrons, nous l'habiterons.

Je voulais la chair, la fragilité, la précarité du temps, le recours à la mort, la foi dans l'homme, le défilé des heures, l'enfant, l'adolescent puis l'homme et après le vieillard, je voulais ce temps qui vous fait si peur mes enfants, je voulais le froid qu'on n'aime pas, la pluie que l'on ne commande pas, je voulais des saisons, un été qu'on espère et nous rend gais, un hiver qui nous enferme, nous emmitoufle et nous dévoile la chaleur de nos lèvres. Je voulais le soulagement d'un monde supérieur qui nous mène, nous malmène, je voulais des montagnes par dessus nos âges, un au-delà que l'on espère ou non et que l'on craint, je voulais un corps à dompter, je voulais un homme faible un homme que l'on explore dans son humanité, un amour qui nous enveloppe puis nous quitte sans un geste ni une parole, je voulais des machines asservies... Vous voulez un genre genre nouveau genre, un homme augmenté de vos rêves de puissance, machine homme, pc homme, mac homme, nano-homme de titane et de chair mais vous enterrez le possible que le corps dans sa mort fait naître, je prends le pari disait Pascal et de rajouter : pour ce qu'il me coûte je suis gagnant. Nous prenons le numérique dites vous.

Adieu papy, meurs puisque tu le souhaites. Au néant, l'homme né poussière. Devant toi le genre genre nouveau quitte la plage, la pluie et le froid, le temps qui te dépasse, la fin qui te guette, et les lendemains qui nous déchantent. Nous choisissons un tiens qui vaut mieux que deux tu l'auras, la proie mais pas son ombre, la vie mais pas le risque du néant, la vie augmentée, l'éternité numérique contre l'hypothétique au-delà, l'éternité que nous construisons, que nous maîtriserons. Adieu mon papy.

Mon enfant tu lâches une ombre pour une autre...

C'est mon ombre Papy. L'ombre d'une nouvelle illusion ? Peut-être mais la nôtre Papy, La Nôtre. Tu me manqueras mais ton avenir me fait peur, je ne peux plus aimer tes rides, ton corps que le temps raidit, tes absences, l'effacement qui te guette, tes muscles que je sens si frêles. Tes souvenirs quittent ton navire, tu vas sombrer mon papy et je vais pleurer ; mais je suis ton prolongement n'est ce pas mon papy, je suis tes yeux nouvellement ouverts pour que tu regardes par dessus mon épaule les jours après les tiens, je suis la voix qui te portera par dessus la mort éternellement mon papy, je suis la main que tu as guidée jusqu'à ce rivage sans que tu le saches, je suis la jeunesse qui suit ta vieillesse, je suis ton devenir... Mais il n'y aura pas d'après moi, pas de couchant pour moi, je suis un phénix de Gafa, Gafa m'a voulu ? Gafa m'a eu, mon âme contre une éternelle jeunesse, le contrat, le pacte de Gafa. L'âme ? Papy un vieux rêve des hommes, je ne suis déjà plus de la même race que toi, dans mon sang du nano, sous mes yeux, contre mon tympan, la puce et son réseau, adieu papy je vais au Cloud où les étoiles sont sur toile. Et tes amours faut il qu'il t'en souvienne coulaient sous la Seine… les miens se connectent, s'acheminent dans nos machines, circulent sur des milliards de voix. J'aime mon ami le robot, l'homo connecticus dirais-tu. Le pacte papy me fait éternelle branchée, matrix est mon amant aux milles visages. On télécharge mon cerveau. Adieu papy tes larmes sur mes yeux, ma peine sur ton cœur mais demain ne t'appartient plus. Ton soleil s'éteint... Adieu mon papy...

Souviens toi… les moulins qui tournent dans le ruisseau, ta main impatiente et malhabile puis ta joie dans le geste précis et sûr… le sommeil qui surprend l'enfant au soir d'une longue marche, les ombres sur le mur blanc, les monstres qui s'agitent sous la brise nocturne, le dragon noir sur fond lunaire, le cri d'une chouette, la voie lactée au dessus de nos têtes émerveillées, la nuit des étoiles filantes allongés dans l'herbe les yeux tournés vers là haut, et ce concert de grillons… ton premier vélo quand je te soutenais, allez, allez… encore encore... et ton envol, ta joie de pédaler, ta première chute, ton genou ensanglanté, ta peur, tes pleurs ou tes cris, un baiser sur la blessure, la formule magique, la douleur envolée les rires retrouvées, l'envie de continuer. Tes questions, tes pourquoi…

toi et moi main dans la main... la fable... Souviens toi... les animaux d'Afrique... les troupeaux d'Antilopes dans la savane... les lions autour, le jeune curieux qui s'en écarte un peu, regarde-le, maintenant observe l'oeil de la lionne, les muscles se tendent, répondent présents et le petit est déjà mort, mort avant sa mort. Toi aussi, reste dans le troupeau ou méfie toi du prédateur, souviens toi : il n'y a pas pire tueur qu'un dictateur... un homme plus fort que le troupeau et l'on crie : voilà le lead ! Cet homme, ce guide, ce Titan, ce Gafa, le troupeau l'a nommé, le troupeau l'a voulu, le troupeau l'a choisi, le troupeau le suivra, le subira, librement assujetti, denrée qui s'ignore denrée, denrée qui se pense libre, libre ?

Et toi, avec eux : Eternité ! Eternité dis tu… quel éternité pour l'Ephémère, quelle éternité pour la fourmi, quelle éternité pour la mer, le monde, l'univers… vivre cent années deux cents, trois cents ou plus ? Voir plus loin n'est pas voir plus clair. La mort n'est pas pressée, elle attendra le temps qu'il te faudra, le temps que tu réclameras : ton éternité rallongée à chaque génération s'il le faut, peu importe pour elle l'instant recouvre ton pseudo éternel... Adieu donc mon enfant... n'oublie pas tout à fait ton grand-père, son monde de chair fragile et précaire… d'une autre fragilité, d'une autre précarité que celles que tu vas te fabriquer... adieu mon enfant… A jamais...

Et pourtant

Photo : Philippe Feluy
J'ai du dégoût sans être malheureux, beaucoup d'amertume pourtant je suis comblé. Mais, mais j'entends la rumeur des hommes, cliquetis étouffés de leurs manigances pendant que les sourires ensoleillent les écrans et l'histoire me chuchote à l'oreille : ne les écoute pas, ils parlent, ils chantent, ils se recueillent pieusement, on y croirait et pourtant les mélodies en sous sol ne recouvrent pas tous les cris et pourtant il en est de plus forts et de plus stridents que les autres et pourtant ce silence, que penser de ce silence.

J'ai de la tristesse pourtant je vis dans le soleil, je ne compte pas et pourtant je vis soucieux, avec le poids du désenchantement. J'ai de la colère et pourtant je vis en liberté dites-vous. Mais l'histoire me murmure les alliances contre nature : le coeur sur le bord des lèvres nos porte-voix vitupèrent, dénoncent la dictature mais soutiennent la main du sang, à l'envers de l'endroit, coté obscur coté de lumière cote à cote dans les mêmes cerveaux. Et le rêve flirte avec le cauchemar.

J'ai la nausée pourtant je cherche un jour, un jour sans arrière salle, sans arrière pensée. Un jour fait d'hommes clairs, un jour pur avec sa nuit d'un sourire franc. Pourtant les hommes du secret copinent avec le crime, et nous peuples que l'on zappe, que faisons nous. Pourtant j'ai dans les yeux un horizon radieux, pourtant j'appelle au réveil, oui j'appelle, je hèle les esprits. 

Ouvrez, ouvrez à la clarté, laissez votre anesthésique quotidien. Un pas, il suffirait d'un petit pas, un petit écart à droite ou à gauche pour que l'on voit le verso de nos pages ensoleillées. Un petit pas sans effort, pas chassé vers l'envers du décor à rebrousse pensée, un pas de coté que vous ferez ou ne ferez pas. Et pourtant...

mercredi 2 septembre 2015

Un amour de quotidien



Petits plaisirs

Cet or du fond de tes yeux, or fondu au bleu d'un ciel si profond si délicieux, cette symphonie à bec et à plumes par dessus, c'est du beau, du bon, du bonheur, mais…

Cet amour, pour toujours, à jamais, pour la vie, câlins, caresses, cadeaux et tous nos débords heureux; cet amour trace son quotidien, nous emporte sur son chemin. Mais...

Mais la mélodie modelée au fil de nos baisers délie le cœur du corps qu'elle anime, mélodie s'élime, rengaine s'assèche.

Petite aigreur, petite rancœur, petite fadeur, petite humeur, petite tumeur...tu meurs petit bonheur dans le chant d'un fado, do mi fa, do mineur. Et nos gazouillis, roucoulades, reculades s'enchaînent, nous enchaînent, nous gênent, nous irritent, nous tintamarrent, marre de cette volière qui serine, ressasse, rabâche, agace, encolére, tenaille…

ça nous met hors de nous. Hors du beau du bonheur et tu ressens dans la friction de ces heures, dans leur frottement lancinant, l'usure chagrinée de ce qui perle devient lèpre. L'envers de l'endroit, mais…

Mais les petits plaisirs font nos grandes rivières qui font les grands océans qui font les grands débordements et nos petites joies s'engloutissent dans de grandes catastrophes, alors…

Alors une petite colère, une gentille dispute, un mot juste plus haut que les autres, pas trop loin, pas trop fort, ni trop bof ni trop beurk, pas trop... ni trop... juste un peu de sel, un peu d'oxyde, un peu de sable, un grain, un brin de bof, de beurk, un petit cri, petit gris gris qui nous protège de nos peurs ...

un amour de quotidien.

mardi 1 septembre 2015

Virtuose

J'aime la musique. La vraie celle que l'on fait avec ses mains, celle qu'on apprend des années durant chez son prof avec du solfège et des partitions, celle que je goûte du bout de mes doigts et me dresse les poils sur la peau . Mais j'aime pas le son numérique, le son mâché à la machine, travesti, torturé, ces sons froids, ces voix violemment tordues.
Je joue du violon. Je parle violon. Mal encore. J'apprends sol la si do, j'apprends à caresser mes quatre cordes du bout de mon archet la si do sol. J'écoute mon prof, qu'est ce qu'il est fort, et j'essaie de l'imiter sur mon bel instrument léger comme la voix de maman et si beau dans sa livrée de bois blond. 

photo David Sidoux
Je chante faux. Je déchiffre encore. Je suis tout jeune, j'ai des excuses. J'apprends, je grince . 
Mon prof :
- Ton archet, incline ton archet, soigne son attaque sur la corde sinon tu vas lui faire mal à ta musique et ton violon se plaindra douloureusement... ton poignet souple ton poignet comme si tu effleurais la peau d'une femme... oublie ça tu comprendras plus tard.

Moi je m'applique je me concentre à mort, fixe ce petit arc magicien capable de transformer un simple frottement en une mélodie d'une pureté qui me donne le vertige . Je m'applique. Cette fois ci sera la bonne, sûr et je me lance en regardant mon prof pour lui dire du bout de mes cils : 
- Écoute ça tu vas pas en revenir.
Je frotte mes cordes , un génie pourrait bien en sortir, un génie musicien j'ai vu ça dans Aladin et la lampe magique. Si ça pouvait m'arriver. Ça va m'arriver. Je frotte, frotte mes cordes et le son cristallin qui me ravit déjà, s'étouffe au fond de ma gorge, il n'en sortira pas. Le génie m'a boudé. 
Mon prof a fait la grimace :
- Ça ne fait rien, c'est déjà mieux, tu vas y arriver.
Et fort de ses encouragements généreusement hypocrites j'insiste, je fais des efforts. Ça viendra il l'a dit. Mon génie dans le corps de mon instrument sera ravi et se montrera enfin. 
Il me dira :
- Je suis Stradimachin, Fritz Kreisler, je suis le génie des violonistes qu'un musicien méchant et jaloux a enfermé dans ton violon, je suis son âme. Tu m'as appelé. Tu es mon maître. Fais un vœu, je l'exaucerai.
Pas besoin de préciser je penserais si fort qu'il comprendrait sans qu'un son ne sorte de ma bouche . Les sons, la musique c'est l'affaire de mon violon.
Ce soir la terre s'arrêterait de tourner pour écouter mon concert. Ce serait toujours le jour en France, toujours la nuit en Chine et mon violon parlerait pour moi, chanterait la pureté de ma voix. Le rideau ne serait pas encore levé... j'entends le doux brouhaha du public dans la salle. Il parle de moi :
- C'est un virtuose promis à un grand avenir.
- Ah madame j'en frissonne de plaisir, son doigté est exceptionnel. 

J'arrive sur la scène accompagné de mon orchestre. Silence dans la salle. Je coince mon génie sous mon menton, hausse mon bras l'archet prêt à faire chanter les cordes. Le chef de l'orchestre a levé sa baguette. Tout le monde attend son signal. Ça y est. La musique introduit mon solo par un chant qui invite au recueillement. La baguette se tourne vers moi :
- A toi, charme nous !

Photo Lilane Menardes
Un mouvement du corps, je ferme les yeux, j'entends déjà la pureté exacerbée de la mélodie, je sens le bois qui vibre et se répand en moi . Je suis bois, bois de violon, bois de Stradimachin. J'attaque... Couac, couac couac! Une volée de canards, un cri grinçant, des cordes soumises à la question, des dents qui grincent, un auditoire qui se bouche les oreilles et s'enfuit. La panique. Couac toujours couac ! Je m'effondre ! Je pleure. Mon génie m'abandonne. Mon génie ne veut pas sortir de mon violon. Il a honte de moi. Il est en colère. Je l'entends qui crie dans l'âme. Qui crie, qui crie :
- Tu ferais aussi bien de pisser dans ton violon ! Ça ferait un plus joli son !
Il est furieux ! Mon dieu je n'avais pas compris. Je me suis trompé. Il faut que j'urine il faut que je déverse mon art sur le bois vernis. Je sors mon tout petit archet de garçonnet et j'arrose tant bien que mal mon instrument du liquide le plus musical que je puisse. J'arrose Vivaldi pour qu'il pousse son printemps, pour qu'il pousse son été sous ma petite verge. Et la musique vient, douce et fluette, cristalline comme une source, bavarde comme un ruisseau et le public s'extasie et mon solo grandit, grandit quand soudain un hurlement :
- Mais qu'est ce que tu fais ! Qu'est ce que tu fais !
La voix de mon prof . Sursaut. Réveil brutal.
- Mais qu'est ce que tu fais ! Pourquoi tu pisses sur ton violon mon garçon ! 


Fransisco Autunes



 Texte, © Joël Carayon