lundi 23 mars 2015

Au bal des cloches

J'avais la tête ouverte aux quatre vents. Elle y est entrée d'un coup d'ailes et ma maison s'est mise à chanter. J'avais un seul toit au dessus de moi changeant avec le temps. Elle m'a offert sa lumière et j'ai troqué mes étoiles contre son amour. Au soir qui tombe je fermais mes ouvertures, chauffais mon crâne à grande lampée de pinard. Pinard, ah Docteur Pinard. Je me soignais par de larges gorgées d'un acide au goût de vin. Elle m'a nourri de son lait au sein d'albâtre. Je me remplissais d'une épaisseur d'alcool, comme d'autres se calfeutrent chez eux au BBC - à chacun son isolation, elle m'a couvert de sa peau de ciel bleu. J'avalais et je parlais avec mes amis de la beuverie, hommes à tête de chien, perruches au corps de femme, cheveux raidis par la crasse, fardées au noir de leur vie. Elle m'a parlé une langue aux lèvres remplies de miel. Chez nous on boit, on vomit on pisse au même endroit, peu importe tout ça va à l'égout. J'avais la tête à douze degré remplie à exploser, il m'en fallait encore jusqu'à être éponge, sentir le vin et la bière par toutes les pores de ma vilaine peau. Elle a bu ma déprime refermé tous mes lieux de dégoût. On s'est mariés. J'étais heureux comme un prince sur mon nuage bien au-dessus de la rue avec mon ange dans les yeux et sur le cœur. Une éternité de bonheur, cinq années. Faut dire que je suis un autre homme quand j'ai pas bu. Son premier cadeau une belle voiture et dedans son homme au travail s'en allant, fier comme un soleil. Mon premier cadeau le salaire de mon bonheur.

Puis le nuage a faibli. Mon ange aussi. Elle s'est fait un sang d'encre trop longtemps, pour la vie, pour moi, pour ses enfants. L'encre est restée dans son sang. Au début juste une petite dose bleue sur fond rouge, toute petite écriture sous sa peau d'ivoire. Le soir, je rentrais pour la laver, lui faire à manger parce qu 'elle pouvait pas, pour mettre une chanson qu'elle entendait pas parce qu'elle dormait et je l'écoutais pour elle, pour allumer un feu de cheminée qu'elle aimait plus parce qu'elle pouvait plus supporter la chaleur vivante des flammes sur le bois rougeoyant, brûlures rouges et bleues comme son sang. Je l'aimais. Je l'aimais tout le temps. Je l'aimais au quotidien. Je l'aimais quand je lui racontais le ciel au bleu de ses yeux, sur ma vie pour toujours. Je l'aimais dans son sourire attristé. Je la veillais, je caressais sa peau dans son sommeil avec la lune comme compagne et confidente. Peu à peu l'encre a bu tout le sang et le bleu de ses yeux s'est noyé dans ses veines. Alors la rue est revenue de petits verres en petits verres dans notre foyer, au centre de ma vue, la rue et sa veine aux couleurs de sa vie. Elle s'éloignait toujours plus, fréquentait un monde sans moi avec du froid tout autour je crois, revenait de moins en moins de son sommeil. Puis elle n'est jamais plus revenue. Mon ange non plus. Au début un tout petit cancer, une toute petite leucémie, soyeuse et douce qu'elle a chérie, juste un petit animal ronronnant dans son sang qu'elle a nourri et qui boira toute sa vie. Elle est partie et moi un peu avec elle. Maintenant je bois du bleu qui n'est pas de ciel, un sang qui n'est pas le sien. 

Texte, © Joël Carayon