samedi 13 septembre 2014

A corps perdus



Je m'étale sur ma plage fidèle à mes galets et dans la lumière crue, les silhouettes habituelles toujours aussi trans, trans-sexuelles, transformées. De belles hommes en tenue d'Eve, de beaux femmes en costume d'Adam. Beaux mecs à cul arrondis bronzés de haut en bas sans une tâche de blanc sur la peau, le blanc pur n'est pas très mode. Sous le grand lampadaire ils palabrent, avec la mer à côté qui les écoute à peine et continue son gazouillis habituel de vagues en vagues.

Offert à la cuisson de juillet je les vois sous mon bras, moi qui bronze hétéro côté pile-côté face, l'amateur versus les pros. Y a pas photo. Ils déambulent dans les coulisses de la plage derrière le rideau des tamaris maigrelets. En creux leurs corps sur les herbes couchées. La ronde dans l'indifférence feinte. Mais bel homme, ton regard trop longtemps fixé sur la ligne bleue de l'horizon te dénonce, tu scrutes, tu cherches l'âme seule, ta compagne. C'est le marché dans l'arrière boutique. Sur le plateau au ras de l'eau le mannequin s'expose, se laisse toucher du bout des cils. La pose soignée, le soucis du détail. Pas un poil sur ces peaux noircies. La mode est au lisse. Statues de bronze aux muscles travaillés en salle.

J'aime bien les observer. Le plus souvent par petits groupes ou seul aussi, ça arrive. Et puis cette touche gracile dans le mouvement, ce coté délicat même quand ils débordent de muscles. Leurs affaires bien rangées dans le petit sac à dos ou un sac tenu à la main, toujours esthétique pas le machin plastique du supermarché du coin, faute de goût impardonnable, voyons. Leurs gestes de tendresse : la main qui effleure , le regard soutenu, la proximité des corps dans l'eau. Ça me surprend toujours un peu et je me sens souvent légèrement mal à l'aise, très légèrement, pas plus allons. Mais je ne dis rien, je reste parfaitement digne, le regard nimbé d'un zeste de détachement : Voyons, je suis très ouvert mon cher. Je les trouve plutôt sympas, discrets la plupart du temps – ici du moins.

Mais il y a aussi ceux qui tapinent sous l'aqueduc millénaire, se plantent sous le réverbère, s'affichent à vendre, à louer quelques minutes, une heure, pour la nuit. Agencés manière de dire : admire la caisse, regarde les cuisses. Elles sont pas belles mes cuisses et mon teint de tante ? Et qui sait, ta tristesse planquée sous le rimmel, qui coule après la fête . Avec ta belle perruque blonde, tes longues bottes de sept lieues. A vendre, à louer, une heure ou deux. Avec sous le fard une plainte camouflée.

Je te vois dans mes phares quand je rentre au foyer. Sous ton lampadaire. Transformé. Tu dis rien, tu restes planté sur ton bout de trottoir, figé, juste des yeux que la lumière dure accroche au passage. Tu es heureux, autant ou moins que ta copine femme hétéro sur le trottoir d'en face ? Qui s'arrête pour te demander combien ? Dame Nature tu les as trompés, t'as truqué la marchandise ? Ces hommes, ces femmes tripotés, trafiqués, bricolés chez le chirurgien qui compte, encaisse. Le malheur des uns contre le bonheur des autres. Plasticien es-tu musicien des corps ou artiste du portefeuille ?

©  texte propriété Joel Carayon


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