vendredi 7 mars 2014

La Chose

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L'ombre du Vel'd'Hiv flotte. Lourdement chargée d'une volonté d'éradiquer le blanc rayé de noir ou bien le rouge sur peau mate. L'africain ou le juif. Au Cambodge ou ailleurs.

Un maître. Un guide –Sic Hitler, ou bien mon grand copain ou bien Alain ou bien mon Dieu ou bien, ou bien:
 -Vas-y, envoie 250 volts… Il peut en mourir? Exécute j'en prends la responsabilité. Je fais. Il me l'a ordonné. Je lui donne mes craintes et ma culpabilité.



Je suis calme. Mon esprit plat comme la surface d'un lac, lisse comme un miroir. Tranquille comme un ciel bleu. Comme tout un chacun. Comme toi. La Radio, la télé savent et me disent. Moi j'obéis. Pourquoi s'affoler? Je frappe quand ils l'exigent. Des remords!? Et pourquoi? Pas de honte non plus. Le geste machinal de la main du côté de la soumission. Je frappe dans les tranchées, les camps de concentration, dans les bagnes, la rue, la cour de mon école. J'extermine. Ordinairement je massacre, je dénonce, je pousse au suicide. J'excelle de zèle? Peut-être.

-Milgram. La soumission LIBREMENT consentie. Librement.

Je conduis mon voisin, mon ami, mon collègue qui me conseille, me soutient. Il riait avec moi. Nous avons trinqué ensemble à l'ombre de son parasol, au bord de son jardin. Je le préviens: Ils arrivent! Ils viennent pour te tuer.

Dans «Ils» il y a moi, mon autre moitié de moi. Mais nous nous entendons très bien nous qui ne faisons qu'un. Je tue comme je travaille. De 9 heures à 12 heures et de 14 à 17. Avec une pause entre midi et deux, j'y tiens! Je tue professionnellement quand ils me le demandent. Je suis bien dans la norme de production, pour moi pas d'amendes. Moi le romain, l’allemand, l'anglais, le français, le houtou, moi aux multiples visages, le bourreau assis à la table de sa victime, qui plaisante avec ses enfants.
Aujourd'hui je les découpe à la machette, je fournis les allumettes de leur bûcher, je les pousse au suicide.
Je rationalise. Noirs? Ceux sont des singes. Incas? Ils n’ont pas d’âme. Gris? Dangereux ou paresseux. Je suis celui qui cajola Gégène au nom de la loi du moment. Il faut tuer me dit-on, bastonner le tzigane? J’en suis. Femme? Je lapide.

La Chose m’habite? Oui mais pas plus ni moins que toi. Je suis soluble dans l’anonymat, délayé dans la norme. Je suis le bras décervelé de celui qui me commande, homme ou média. Je suis un mec ordinaire ne t’en déplaise! Je suis la main qui nourrit les pigeons sur la place. Qui prends le soleil aux terrasses des cafés quand le printemps réchauffe l’asphalte. Je suis le croyant. J’épure. J’embrasse ma compagne lorsque je rentre, raconte une histoire à mon fils ou ma fille au coucher. Je suis fidèle ni plus ni moins que toi. Je regarde le sport à la télé, j’aime lire aussi. Je vais au musée quelques fois. Je passe mes vacances en bord de mer, à la montagne. Je fais du sport. D’ailleurs il faudra que je me surveille, j’ai pris du poids ces temps-ci.

Et toi qui as marché dans la Nuit et le Brouillard, Collabo ou résistant? Aujourd’hui quelle haine te nourrit intimement? Quel massacre à légitimer?

Rien de tout cela. Simple fonctionnaire, petit commerçant, ouvrier du bâtiment ou d’ailleurs, riche PDG ou artiste renommé, retraité ou vieillard, jeune lycéen la vie entre les dents… gentils Gremlins.

Pourvu qu’il n’y ait pas de loup!

©  texte propriété Joel Carayon

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