jeudi 14 août 2014

Aux portes de nos villes


marseille sous la lune
Il marchait dans une rue luisante au clair d’une lune coquette qui prenait la pose dans son premier quart. Elle était jeune encore, la belle laiteuse! Lui se moquait pas mal de son immense narcissisme. Son pied indifférent troublait le tranquille reflet argenté et les flaques luneuses s’agitaient nerveusement après son passage.

Il avançait en scrutant la surface polie des pavés, le béton du trottoir, y lisait des équations invisibles pour le passant ordinaire, filait les indices, interrogeait la pierre, le goudron, le béton, le bois. Il y avait eu  -et il y avait inévitablement de l’amour ou de la douleur, usés par les passages répétés. Il  y en avait la marque dans l’air, dans l’épaisseur du bitume. La rue parle à qui sait l’entendre et il la comprenait magnifiquement bien!
Il cherchait des réponses dans la pénombre taciturne. Un bonnet noir enserrait le sommet de son crâne où veillait un cerveau en perpétuel mouvement : une machine à penser et quelque chose d’étrangement indépendant de lui murmuraient sous sa voûte crânienne. Ici dans sa rue, un chant mystiquement formé montait en lui. Une rengaine inlassablement répétée rythmait sa quête.
Ça sentait les baisers, les pleurs, les confidences d’amoureux, les cris de l’abandon. Il humait. S’il savait le demander, le pavé lui confierait sa mémoire. Le trottoir ferait à nouveau résonner l’empressement  de la fuite ou le glissement rapide de pieds, les uns contre les autres serrés. La porte s’ouvrirait lentement conduite par des mains qui se voulaient discrètes ou bien hurlerait sa douleur sous la violence du bras qui la frappe. Et le silence éclaterait dans le vacarme étourdissant de la plainte ou de la fête.
Une chose racontait la vie qui avait coulé. Des voix retentissaient encore remplies de rires. Le bois était chaud des épaules qu’il avait soutenues, parlait de sa chevelure brune. Il l’effleurait du bout de ses doigts, plongeait ses yeux dans la texture serrée de la matière. Elle chuchota. Ses fibres résonnaient. Une voix féminine vibra enfin libérée de sa vie de porte.
Et là. Sur les dalles grises du sol. Un bruit furtif presque inaudible ! Le son devient plus clair, s’affirme peu à peu dans le souvenir… Le claquement retenu d’un talon. Des pas impatients de rencontrer d’autres pas. Encore lointains. De plus en plus prés. Une course légère comme une danse. C’est elle ! Sûr ! La pierre se confie, livre son secret. La danse se double d’un autre tempo : son plus lourd, plus profond, enfoui dans la dalle grise. Un jeune homme se hâte. Lui!...Rencontre furtive.
Ils étaient jeunes. Dix-sept ans, dix-huit peut-être. Lèvres contre lèvres farouchement assemblées. Corps contre corps. Amours enlacés. Violence des jeunes étreintes. Vertige. Fusion. Respirations syncopées. Puis plus ample et à pleins poumons. Ton souffle se mêle au mien. Dans les yeux le passage d’un grand ciel bleu. Silence.
Promesses : « A demain ! … Pour la vie ! … Nos noms gravés ! … On ne se quittera jamais !»…

Sourire ou pleurer ?

©  texte propriété Joel Carayon


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